Romain interview Eric NC, graphiste et animateur de radio

Dans le cadre de ses études à l’école Gobelins (Paris) et pour son projet de fin d’année sur la thématique suivante « l’inspiration du rétro dans le motion design et la nostalgie qui y est associé », Romain Haudiquert interview en février 2023 le graphiste et animateur de radio Eric NC

Romain Haudiquert : Eric, peux-tu te présenter, qui es-tu et qu’est-ce que tu fais dans la vie ?

Eric NC : J’ai 56 ans. Je suis formateur vacataire spécialisé en arts graphiques et je travaille dans plusieurs centres de formation et écoles supérieures privées de la métropole lilloise et du bassin minier lensois. Je me suis reconverti dans la formation après avoir été web designer et webmaster de 1999 à 2018. Je suis diplômé des Beaux-arts de Calais et d’une école supérieure d’infographie de Valenciennes (SUP INFO COM). J’ai eu l’occasion d’exposer mon travail d’artiste dans plusieurs galeries et des centres culturels de ma région. Mais je ne produit plus grand chose bien que l’art moderne et contemporain me passionnent.

En ce qui concerne le domaine radiophonique, j’anime l’émission fan de funk en direct tous les vendredis soir sur Radio Plus depuis ses studios à Douvrin depuis 2012, mais mon projet à vu le jour en 2008 avec « Fan de funk, le mix ». C’est un programme qui est repris par plus de 100 radios web et FM. Les auditeurs peuvent retrouver l’émission sur internet et l’écouter en podcast sur monsite fandefunk.com. Le thème de l’émission est le funk afro-américaine, un courant musical principalement destinée au dancefloor. Le terme exact est « boogie-funk », que l’on l’appelle aussi « modern soul » (Royaume-unis), « disco-funk ». Mais en France ce sont les termes « funk » et « funky » qui sont les plus populaire.


RH : D’où vient cette passion pour les années 80 et le funk ?

ERIC NC : J’ai fait mes débuts sur radio Artois 2000 à Béthune en 1982 (radio libre) quand j’avais 15 ans. J’ai animé une émission pendant 3 ans de 1983 à 1986 ou je jouais toutes sortes de musiques, de la variété internationale mais avec une bonne majorité de funk qui était très à la mode puisque c’était le genre musical dominant dans les clubs.


RH : Peux-tu nous parler du projet fan de funk et quel est ton but avec cette émission ?

ERIC NC : Le but est de promouvoir cette musique et la faire découvrir ou redécouvrir. Je trouve qu’elle a été un peu oubliée, c’est un peu comme si elle avait été effacée de la mémoire collective du public français pour reprendre cette belle formule de Loba Ameega (musicien et chanteur français). C’est vraiment dommage de constater cette perte de popularité alors que c’était la musique de référence de 1980 à 1986 et cela bien avant l’arrivée du top 50 en France. Le Top 50 a fortement privilégié la variété, surtout française. A ce propos, je pense qu’il y a eu beaucoup trop d’émissions de TV qui en a surexploitée la nostalgie et qui ont influencé le public au point où on a l’impression qu’il n’en retient que la pop. Il faut tout de même rappeler que la musique funk avait pris beaucoup d’importance. N’oublions pas qu’elle s’est même imposée dans les hit-parades en France et à l’étranger (charts) toute la moitié d’une décennie, ce qui n’est pas rien…


RH : Comment arrives-tu à maintenir de l’intérêt du public pour ce genre musical ?

ERIC NC : Pour être honnête je n’ai pas de recette mais j’essaye de bien effectuer mon « travail », en proposant une émission de la meilleure qualité possible, avec une playlist assez éclectique ou je fais varier les sonorités pour ne pas donner l’impression aux auditeurs d’écouter toujours la même chose. J’anime de façon décontractée tout en maintenant un certain rythme. J’apporte de l’originalité avec des jingles inspirés des radios américaines des années 80. Beaucoup de mes auditeurs perçoivent mon émission Fan de funk comme un radioshow vivant, attrayant, original et sympa… Ce qui me fait dire que j’ai réussi, avec ma façon bien à moi, de proposer une émission de radio qui sort du lot.


RH : Quelle est ton approche de la sélection de la musique pour ton émission ?

ERIC NC : Je suis très sélectif dans mes choix musicaux funk, je playliste les morceaux en fonction de leur sonorité et de leur qualité musicale. Par exemple, je sélectionne les classiques funk en privilégiant parfois les versions longues et les remix des DJs d’aujourd’hui mais à condition que le rendu sonore et le résultat ne sont pas trop éloignés de l’orignal. Je propose à mes auditeurs des nouveautés car il y a beaucoup d’artistes aujourd’hui qui produisent encore du new funk et c’est tout à fait normal pour moi de les encourager en les faisant connaitre à mes auditeurs. Je ne me contente pas sélectionner une playlist selon mes propres goûts et je suis très ouvert à toute diversité musicale.


RH : Quels sont tes artistes, musiques funk préférées ?

ERIC NC : C’est une question difficile car il y a tellement de talents, mais je dirais Starpoint car c’est un groupe qui a su s’adapter (ils ont suivi la mouvance du New-jack swing) et maintenir un certain niveau de qualité en faisant preuve de beaucoup d’éclectisme (funk et reggae). La chanteuse est fantastique. Renée Diggs chante avec tout son cœur de façon lyrique. Il se trouve qu’aujourd’hui Starpoint vient tout juste d’être redécouvert par les jeunes avec la dernière saison de Stranger things, une série fantastique que l’on peut voir sur une plateforme de stream où l’action se déroule dans les années 80. Mais tu vois, des artistes il y en a tellement, et du coup, tellement de bonnes choses.


RH : Que penses-tu de l’aspect nostalgique de ton émission ?

ERIC NC : C’est le concept même de mon programme : essayer de ne pas oublier qu’il y avait des productions riches, de qualité toutes produites bien avant la MAO*. D’ailleurs elles sont plus ou moins pillées par les artistes d’aujourd’hui parfois en manque d’inspiration. Mais il y a des artistes qui rendent hommage en utilisant le sampling. C’est alors une question d’intention : copier, plagier, s’inspirer ou rendre hommage.

* Musique Assistée par Ordinateur

Sur un plan personnel, c’est agréable de retrouver de bons souvenirs et de se rappeller les belles expériences que nous avons vécues qui nous donnent ce sentiment de nostalgie. Les années 80 sont liées à une période de mon adolescence et de celle de la majorité des auditeurs qui m’écoutent. Une période où la musique nous donnait des émotions positives quant on en avait beaucoup besoin. Il faut bien dire que l’adolescence est une étape dans notre vie, qui n’est pas toujours évidente. On devient petit à petit un adulte, on vit nos premieres histoires d’amour, on se prépare à réussir nos diplômes (qui est une grande source de stress) et on se pose des questions sur notre avenir. La musique est une échapatoire qui nous réconforte dans des moments de solitudes et de mal être. C’est sans doute une raison pour laquelle on n’oublie pas facilement certains morceaux qui nous réconfortent quand on les écoute. En plus, le funk est quand même fait pour danser puisqu’il est lié au disco, il donne du plaisir et nous permet de penser à autre chose dans le sens ou il suplante les émotions négatives.


RH : Que penses-tu de l’avenir du funk ? Penses-tu que c’est un style musical qui tend à disparaître ?

ERIC NC : J’espère vraiment que le funk, surtout que le boogie-funk va perdurer. Mais un jour peut-être que l’on oubliera le funk car il ne répondra plus du tout aux attentes du public. La musique funk finira bien un jour par se démoder avec des sonorités qui vont très mal vieillir. Mais on n’en est pas là encore, fort heureusement, la musique funk n’est pas si lointaine.

La survie de cette musique, je pense qu’elle dépendra du public, des diffuseurs et surtout des artistes :

  • Le public, s’il reste toujours ouvert à ce qui se faisait avant ;
  • Les diffuseurs, les radios, les DJs, surtout ceux d’internet comme les podcasteurs, les plateforme de streaming, car le public doit pouvoir trouver facilement la musique qu’il souhaite écouter ;
  • Les artistes, car ce sont eux les créatifs qui vont réinventer la musique funk, et sans eux pas de production… à moins que les choses évoluent avec l’IA mais ce serait triste de confier son évolution à un programme informatique.


RH : Peux-tu me parler de ton expérience en tant que graphiste ?

ERIC NC : Je pense avoir eu un parcours intéressant et un peu de chance. Après avoir travaillé pour une clientèle très locale, j’ai rejoint en 2000 une agence importante qui m’a confiée le web design de grands comptes pour le projet de leur (premier) site web. Il y avait : Cyrillus, Flunch, Suzuki, Valeo, Mercury urval, Camaïeu, Nordnet, Daxon, Lamy, Robusta, Fora, Serge Lesage, etc. Et j’ai même remporté un prix important pour l’agence : le Clic d’or en récompense d’une campagne publicitaire online que j’avais créé pour Castorama, c’était une belle reconnaissance. Ce que j’ai produit après cette belle expérience dans diverses entreprises n’a que très peu d’intérêt (webmaster dans un groupe spécialisé dans l’impression textile publicitaire), de plus le graphisme n’était pas toujours mon activité principale.


RH : Quel souvenir as-tu du graphisme de cette époque ?

ERIC NC : En ce qui concerne le web design, j’ai encore le souvenir d’un graphisme assez libre, qui n’était pas encore très influencé par tout ce que l’on peut voir. Aujourd’hui tout finit par se ressembler beaucoup. De plus les contraintes du responsive design y sont pour beaucoup de chose (le design des interfaces doit être compatibles avec les smartphones), c’est un format qui bride énormément la création des graphistes.


RH : Pourquoi penses-tu que beaucoup d’artistes s’inspirent de cette époque ?

ERIC NC : Car c’était encore un modèle qui était assez libre et qui permettait plusieurs approches différentes sans avoir recours à l’informatique. Beaucoup de choses étaient encore à faire en matière de création. Le dessin « à la main », le découpage, la peinture, le pliage, bref l’usage de techniques mixtes ouvrait de nombreuses perspectives que n’offre pas la PAO.

Je ne veux pas faire mon vieux con mais il avait à l’époque de véritables artistes qui ont inventé un véritable vocabulaire qu’il soit plastique ou graphique. Et ça se respecte. Ce sont des gens qui vivaient loin de notre confort technologique et de l’accès immédiat à toute sorte d’information, des privilèges qui sont venus avec l’informatique, les logiciels de PAO, le numérique et internet. A cette époque, il y avait, je trouve, de vrais précurseurs, des visionnaires, des pionniers.


RH : Es-tu nostalgique de cette époque ?

ERIC NC : Oui, car comme tu l’as compris, il y avait un vent d’innovations en tout genre.


RH : De quoi es-tu le plus nostalgique ?

ERIC NC : et bien justement du fait que l’on devait créer de façon autonome, sans trop subir l’influence des graphistes du monde entier. Aujourd’hui c’est très facile de s’inspirer du travail des autres, en allant sur internet, pour enrichir le sien. Et puis il y a ceux qui copient totalement ce que font d’autres créatifs. Regarde par exemple les flyers des discothèques, les pochettes de disque des compilations, c’est du copier-coller, aujour’hui ils se ressemblent tous ! Des sites proposent même des « templates » (modèles graphiques à compléter).

RH : Qu’est-ce qui te plaît le plus dans l’esthétique de ces années-là ?

ERIC NC : Alors pour répondre à ta question, cela n’aura strictement rien à voir avec la musique funk. Pour moi le graphiste des graphistes est Vaughan Oliver, le directeur artistique du label britannique 4AD. Un label de pop, rock, indépendant né au milieu des années 80 (The Breeders, Cocteau Twins, Pale Saint, Lush, Pixies, MARS…). Oliver était exceptionnel à tout niveau : artistique et technique. Il a produit de véritables chefs d’œuvre en matière de sleeve design. Des pochettes de disque de toute beauté avec un univers fascinant, diversifié et enrichi par le talent de ses amis typographes et photographes. Vaughan oliver est un vrai génie mais il avait eu la chance d’être encouragé et soutenu par la direction du label, c’est important d’être soutenu par des personnes ouvertes à la création et qui savent prendre des risques. A savoir que photoshop n’existait pas encore à l’époque et pourtant Oliver a réussi à créer un graphisme étonnant, parfois étrange et subversif, qui faisait écho à l’univers des musiciens… C’est une identité visuelle qui collait à une identité sonore, conçue avec brio. C’est carrément magique…

https://www.pinterest.fr/nicolashiesse/v23-vaughan-oliver/

Je sais que tu aimes beaucoup le style Memphis. C’est un style que l’on retrouvait même dans le sleeve design. Il y a de belles pochettes de disque d’artistes des années 80 influencés par ce style, et pas que funk. C’est un graphisme vivant, gai, ludique, qui collait bien à la musique et à la mode vestimentaire de cette époque.
A part ça… Alors… J’aime rire et la bonne BD comme celle de Fred, son univers déjanté avec Son personnage Philémon. Ah, il y a André Franquin avec Gaston Lagaffe, oui je suis un grand fan de Franquin… Sans oublier les aventures de Lucien, Tounga, les 4 as, les Gil et Jo ainsi que les comics que je lisais quand j’étais adolescent, les super-héros de Marvels de préférence, et tout cela concerne les années 70 et 80.


RH : Souvent tu fais des épisodes spéciaux où tu racontes une caractéristique d’un style, un mouvement. Pourquoi souhaites-tu aborder ces sujets-là ?

ERIC NC : J’aimerais faire plus d’épisodes, des focus, mais je n’ai pas assez le temps pour effectuer des recherches. Du moins, le temps qui me reste je me l’octroi pour mes loisirs, mes tâches quotidiennes, ma famille et mes amis à 4 pattes… mes chats que j’adore ! Mais mon émission est un divertissement avant tout, ce n’est pas une émission informative et d’ailleurs, ce n’est pas un créneau qui m’intéresse. Je n’ai pas l’âme d’un journaliste.


RH : Peux-tu me parler des retours de tes auditeurs sur l’effet de la nostalgie de ton émission ?

ERIC NC : Dans la majorité, ils sont très positifs et avec mon émission j’ai la chance d’être suivi par des auditeurs qui apprécient ma playlist et mon style personnel.

Je propose à mes auditeurs un programme réalisé de la meilleure qualité possible et cela semble plutôt bien perçu, du moins c’est l’impression que j’ai. Les gens semblent me considérer comme une personne passionnée… ça revient assez souvent de la part de mes contacts. Mais tu sais je ne m’emballe pas, on ne plait pas à tout le monde. Je pense toucher des gens qui me semblent assez ouverts d’esprit, exigeants, qui apprécient mon style et la différence. Je peux me tromper, tout cela est très subjectif.

Toutes ces marques de sympathie de mes auditeurs sur les réseaux me font très plaisir mais parfois je m’étonne d’avoir des compliments sur une émission que je trouve ne pas avoir très bien réussie. J’ai parfois un peu de mal à me juger et je dois être un peu trop perfectionniste par moments.

Alors, en ce qui concerne les critiques négatives, il y en a peu. Il y a de temps en temps des messages désagréables de trolls mécontents mais je ne perds pas mon temps à leur répondre car ce qu’ils disent n’a aucun intérêt. Je prends de la distance, la méchanceté gratuite ça ne m’affecte pas et je plains ceux qui sont à l’opposé de mon tempérament.

On peut toujours me reprocher que parfois j’en fais un peu trop avec Sharon, la sulfureuse femme de ménage qui vient me perturber en usant de ses charmes, mais c’est une comédie et ça m’amuse, c’est un prétexte pour apporter une petite touche originale. Je ne suis pas du tout misogyne ou macho. Il n’y aura que les gens un peu bouchés pour prendre ça au premier degré et trouver ça déplacé. Mais heureusement que j’ai une majorité d’auditeurs qui semblent apprécier ça.

J’ajouterais que j’ai la chance d’être suivi par une majorité de gens qui aiment l’originalité, qui sont très ouverts d’esprit et il le faut pour apprécier mes digressions comme celles avec le funkycat, un chat désagréable qui squatte la régie et qui n’hésite pas à se faire remarquer en direct en miaulant au micro. Tu vois, j’aime bien imager les choses, car en radio on n’a pas l’image. En radio, je pense qu’il faut s’amuser un peu, il faut trouver des petites idées sympas, et du coup il faut faire travailler son imagination. En tout cas, c’est de cette manière un peu particulière que j’y trouve mon plaisir personnel, et puis les auditeurs qui m’écoutent doivent certainement ressentir mon kiff (du moins je l’espère). Peut être que ça leur donne probablement envie de m’écouter et de découvrir mes choix musicaux. Pour moi c’est ça en fait qui me parait le plus important : faire de la radio à ma sauce, en toute liberté et passer de la bonne musique pour le plus grand plaisir de mes auditeurs.


RH : Merci Eric pour cet entretien

ERIC NC : C’est un plaisir pour moi de répondre à tes questions. Bonne continuation Romain.

https://instagram.com/romainhaudiquert

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